Cipav : comment la caisse de retraite des libéraux traverse la crise

Cipav : comment la caisse de retraite des libéraux traverse la crise

Cipav : comment la caisse de retraite des libéraux traverse la crise

Capital : Vous êtes directeur général de la Cipav depuis octobre dernier, l’année 2020 a été particulière…

François Clouet : Elle a été complexe pour les populations que nous gérons : les professionnels libéraux et les auto-entrepreneurs. Dès les premiers jours du confinement de mars, nous avons suspendu les prélèvements de cotisations. Lorsque nous sommes sortis du premier confinement, nous avons pu les remettre en place. Les cotisations non acquittées de mars à juin ont été reportées sur celles qui suivaient. Il y a eu au final très peu d’incidents de paiement et nous avons accordé aux cotisants débiteurs des échéanciers conséquents.

Capital : Avez-vous rencontré des difficultés pour la liquidation des pensions pendant cette période ?

François Clouet : Nous avons priorisé les activités de liquidation des pensions de retraite des assurés et avons accéléré nos processus de gestion, pour éviter les situations de ruptures de ressources. Nous avons fait le maximum pour accompagner nos assurés et avons toujours trouvé individuellement des solutions aux situations qui posaient des difficultés. Illustration de ces efforts : nous sommes parvenus à obtenir des pourcentages jamais atteints de liquidation des pensions dans le mois de la date d’effet de la demande de retraite (soit plus de 90%,ndlr). Pendant cette période nous avons aussi mis en place une aide financière qui a été versée sur demande des assurés : nous avons pris en charge les cotisations de retraite complémentaire de plus de 60.000 professionnels libéraux, dans la limite de 1.350 euros. Pour 50.000 auto-entrepreneurs, une aide financière a été versée, pour un montant moyen de 850 euros. Nous avons mobilisé pour cela un budget de 110 millions d’euros que nous avons financé sur les réserves de la Cipav.

Capital : Malgré leur demande, certains professionnels n’ont pas bénéficié de ce soutien financier…

François Clouet : Sur ce sujet, j’ai été sensible à l’alerte de la fédération des auto-entrepreneurs et je me suis engagé à revoir tous les rejets d’aides, liés notamment à des situations d’assurés non à jour de leurs cotisations. Nous avions initialement rejeté entre 5.000 et 6.000 dossiers d’assurés pour ces raisons et je suis en train de réexaminer positivement 3.000 d’entre eux. Pour ces derniers, le versement de l’aide financière devrait avoir lieu dans les prochaines semaines. J’ai considéré que, compte tenu des circonstances très exceptionnelles, nous ne devions pas nous arrêter à une définition stricte des conditions d’octroi de l’aide, ni pénaliser les assurés qui avaient des dettes minimes et anciennes.

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Capital : D’autant qu’en ce qui concerne le calcul de leur retraite, les auto-entrepreneurs peuvent rencontrer des difficultés ?

François Clouet : Ce sujet est très technique et complexe. On parle là d’un statut qui a été créé en 2009, à l’époque sans que soient posées toutes les questions requises pour l’acquisition par les auto-entrepreneurs des droits retraite. L’objectif d’alors était avant tout d’augmenter l’activité économique, les questions liées à ces droits passaient au second plan. La problématique de la retraite, sur ce sujet des auto-entrepreneurs comme sur de nombreux autres, c’est que les contentieux surviennent 5, 10 voire 15 ans après la création des dispositifs. C’est pour cette raison que les problématiques concernant la retraite des auto-entrepreneurs sont apparues à partir de 2013, 2014, principalement sur deux aspects. Le premier est celui du nombre de trimestres acquis au titre de l’activité d’auto-entrepreneur. Et là, le dispositif est plutôt plus favorable et ne pose pas de difficultés. Le deuxième sujet est celui du nombre de points acquis par les auto-entrepreneurs au titre de la retraite complémentaire. Pour les situations antérieures à 2015, le statut d’auto-entrepreneur étant alors tout récent, une difficulté d’interprétation des textes peut survenir, compte-tenu de l’insuffisance de précisions de ces derniers. Depuis 2016, un décret a précisé les sujets : il n’y a plus aucun problème.

Capital : Un arrêt de la Cour de cassation de janvier 2020 a pourtant condamné la Cipav à recalculer à la hausse la pension de retraite d’un auto-entrepreneur. C’est le début d’une longue série ?

François Clouet : Il y a effectivement eu un arrêt de la Cour de cassation : c’est un arrêt d’espèce qui n’embarque pas la totalité des situations d’auto-entrepreneurs. L’arrêt ne confirme en aucune façon une interprétation selon laquelle, pour n’importe quelle déclaration de chiffre d’affaires, la Cipav devrait accorder 40 points de façon automatique. Si nous entrions dans cette logique, ce serait complètement inéquitable.

Capital : Pour quelles raisons ?

François Clouet : Cela voudrait dire que de 2009 à 2015, l’auto-entrepreneur, qu’il ait déclaré 5.000 euros de chiffres d’affaires ou 20.000, obtiendrait le même nombre de points pour sa retraite. Ce ne serait pas équitable et ce n’est pas l’esprit du dispositif. Donc, nous travaillons avec la direction de la Sécurité sociale pour traiter les quelques situations qui posent difficulté. Nous avons 1,6 million d’adhérents à la Cipav, dont 700.000 auto-entrepreneurs. Cela ne concerne pas la quasi-totalité des auto-entrepreneurs qui enregistrent en moyenne un chiffre d’affaires annuel entre 2009 et 2015 de 2 à 3.000 euros. Ceux qui sont en cours de contentieux ont des chiffres d’affaires entre 15 et 20.000 euros. Ce sont en fait quelques milliers de personnes, pour lesquelles les situations se reproduisent tous les ans de 2009 à 2015. Nous avons des échanges nourris avec la direction de la Sécurité sociale pour trouver une solution. Il s’agira d’un modèle appliqué par rapport à des critères de chiffres d’affaires, un modèle permettant de préserver l’équité. Nous espérons que cette solution aboutira cette année. Par ailleurs, je n’incite surtout pas au contentieux car cela ne fera pas avancer le dossier. Le message qui consiste à faire du Cipav bashing et à porter un discours selon lequel les droits des auto-entrepreneurs sont systématiquement minorés est faux.

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Capital : Vous évoquez la mauvaise réputation de la caisse, sa mise sous tutelle une partie de l’année 2020 n’a pas aidé à redorer son blason ?

François Clouet : Le conseil d’administration de la Cipav a été suspendu en août dernier au motif que la direction de la Sécurité sociale, la DSS, a estimé qu’il était en situation de carence et qu’il n’était plus en mesure d’administrer correctement la caisse. La DSS avait demandé au Conseil d’administration de traiter une situation interne (risques psychosociaux, ndlr) : le CA ne l’a pas fait et un administrateur provisoire a été nommé. Il avait pour mission de mettre en œuvre trois mesures pour rétablir le correct fonctionnement de l’organisme : accompagner le départ du directeur, en recruter un nouveau et travailler avec ce dernier pour accompagner le processus électoral alors en cours destiné à renouveler le CA. Tout cela a été fait et l’administration provisoire s’est terminée fin 2020. Cette situation n’a pas engendré de conséquences pour le quotidien des assurés. J’ai pleinement conscience de l’image qu’a pu induire l’administration provisoire : sur ce sujet et de manière plus globale, je souhaite, avec la nouvelle présidente de la Cipav, sortir du Cipav bashing en travaillant les éléments qui posent le plus de difficultés.

Capital : Comment comptez-vous faire ?

François Clouet : Ce qui est fondamental pour moi, c’est de travailler à l’ouverture de la caisse pour rendre visibles l’ensemble des services et des outils que nous mettons à la disposition des assurés. Nous comptons d’ailleurs, d’ici la fin du mois, lancer une application mobile. L’image de la Cipav peut parfois apparaître fragilisée, mais le rétablissement d’une caisse de Sécurité sociale ne s’effectue pas en un an. La Cipav a souffert d’une démographie galopante ces 20 dernières années. Au début des années 2000, la caisse comptait 80.000 cotisants. Elle a dû gérer l’arrivée de nombreux nouveaux cotisants (220 000 cotisants actifs en 2017, ndlr) et celle de 700.000 auto-entrepreneurs depuis 2009. Quand j’arrive en 2015, en tant que directeur adjoint, je découvre 60.000 dossiers non traités et 30.000 chèques en instance de traitement. La Cipav va depuis beaucoup mieux : aujourd’hui, nous recevons chaque mois 25.000 demandes. Nous comptons à l’heure où je vous parle un stock de 15.000 dossiers en instance de traitement, avec une ancienneté moyenne de 2 à 3 semaines. Nous n’avons plus de chèques et 98% des paiements sont dématérialisés. Nous avons industrialisé nos processus de gestion, rehaussé nos résultats en matière de recouvrement de cotisations et travaillé sur la rapidité de de liquidation des pensions. Nous voulons communiquer toujours et encore sur l’accessibilité de la caisse, les mesures mises en œuvre pour répondre aux besoins des adhérents ; nous souhaitons également réussir à identifier les non-satisfactions et leurs causes. Mais on ne révolutionne pas tout du jour au lendemain.

Capital : Il existe toujours un problème d’appel tardif de cotisations ce qui plus tard peut avoir des répercussions sur les pensions ?

François Clouet : Là encore les choses se sont singulièrement améliorées. Les échanges de données entre Urssaf et Cipav ont été ces dix dernières années automatisées et industrialisées, permettant de considérablement réduire ces cas d’appels tardifs. Une multitude de raisons peuvent expliquer que la Cipav ait des difficultés à caler le fichier administratif de ses cotisants avec celui des Urssaf. Notre ambition ces cinq dernières années a été de rapprocher progressivement les deux fichiers. Ma conviction est que le meilleur moyen de ne plus avoir d’écart de fichier, c’est d’avoir le même. Et l’aboutissement de ces travaux va être le transfert du recouvrement des cotisations en 2023 de la caisse vers les Urssaf.

Capital : C’est une modification que vous appelez de vos vœux ?

François Clouet : Nous soutenons complètement cette réforme du transfert du recouvrement. Nous avons déjà engagé les travaux relatifs au système d’information. Il faut également caler comment l’on embarque cette mesure de transfert dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, un chantier ressources humaines est à mener : certains salariés de la Cipav vont en effet être transférés à l’Urssaf. Au-delà de cette mesure très emblématique, nous souhaitons avec le nouveau conseil d’administration et sa présidente mener d’autres rapprochement : nous sommes en train de nous ouvrir à l’ensemble de l’écosystème de la protection sociale, entamons des échanges avec le CPSTI, le conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (qui pilote le régime complémentaire d’assurance vieillesse obligatoire et le régime invalidité-décès des travailleurs indépendants, ndlr). Nous avons beaucoup de choses à apprendre mutuellement, notamment au niveau de l’action sociale ou de la mise en place de la médiation : nous n’avons pas de médiateur à la Cipav et nous comptons l’instaurer.

Capital : Sur le plus long terme, des fusions avec d’autres caisses pourraient-elles se réaliser ?

François Clouet : Nous sommes des organismes appelés à évoluer. Il y a des sujets sur lesquels les rapprochements peuvent se faire vite comme le recouvrement des cotisations de notre organisme par les Urssaf. Sur la question des prestations et de leur liquidation, les choses sont particulières. Je ne sais pas ce qu’il en sera dans 15 ans, mais à 5 ans ou à 10 ans, les spécificités des professions libérales liées à l’acquisition des droits retraite ne pourront pas être rapidement gommées. La Cipav sait gérer ces spécificités et continuera à exister. Le transfert du recouvrement à partir de 2023 va nous permettre de nous recentrer sur les activités cœur d’une caisse de retraite : valorisation de la carrière des assurés, liquidation et paiement de leur pension de retraite.

Source Capital.fr

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