Comment la télémédecine monte en puissance dans les maisons de retraite

Comment la télémédecine monte en puissance dans les maisons de retraite

Comment la télémédecine monte en puissance dans les maisons de retraite

De drôles de petits chariots ont commencé à faire leur apparition dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Équipés de stéthoscopes ou de tensiomètres connectés, ils sont déplacés de chambre en chambre par des infirmiers pour assurer des téléconsultations. Si une telle pratique est encore loin d’être généralisée, petit à petit, la télémédecine fait son nid au sein des maisons de retraite. S’imposant même parfois naturellement dans les territoires frappés par le manque de médecins.

C’est l’expérience vécue dans un établissement de Normandie. “Nous utilisons la télémédecine depuis mars 2020 suite au départ de notre médecin coordinateur qui était aussi le médecin traitant de résidents, raconte Carine Legrand, directrice de l’Ehpad du groupe Korian Rive de Sélune au Teilleul dans la Manche. Nous sommes dans un désert médical et il fallait assurer la prise en charge de nos 70 résidents”, ajoute-t-elle. Autre avantage du dispositif : permettre l’intervention de spécialistes, qui, en temps normal ne se seraient pas déplacés. “Nous l’utilisons par exemple dans nos établissements pour réaliser des actes de prévention ORL ou encore une consultation avec le cardiologue”, détaille Alain Seknazi, directeur général d’Arpavie, spécialiste de l’hébergement pour les personnes âgées. La télémédecine peut même permettre d’avoir accès à des spécialités encore peu développées dans les établissements. “Nous avons actuellement des téléconsultations de médecine générale pour l’ensemble des Ehpad du groupe Korian et nous développons d’ores et déjà les téléconsultations de gérontopsychiatrie pour lesquelles nous avons une région pilote”, relate Julie Michelet, directrice du pôle médical Sud Korian.

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Pas de perte de contact

Sans remplacer les examens tactiles ou les interventions d’urgence, les téléconsultations peuvent toutefois permettre de détecter des problèmes plus graves que ceux signalés initialement. “Par exemple lors d’une consultation à distance pour un renouvellement d’ordonnance si le médecin constate des symptômes qui l’inquiètent, il ne renouvelle pas l’ordonnance et va le voir directement. Cela peut déclencher une visite de visu en urgence”, illustre Alain Seknazi.

Autre point important dans ce dispositif, la personne âgée n’est pas seule face à son écran et aux outils médicaux connectés. “Chaque résident est accompagné, pendant sa téléconsultation, par une infirmière de la résidence. Cette dernière a une très bonne connaissance de la situation et se sent ainsi beaucoup plus impliquée”, témoigne la responsable d’établissement Carine Legrand. Et cette présence fait toute la différence.

“Il faut distinguer les consultations dyadiques où vous êtes seul face à l’écran de celles dites triadiques où vous êtes accompagné, souligne Alexandre Mathieu-Fritz, sociologue du travail qui a réalisé des recherches sur la télémédecine. Cela change tout car seul, la téléconsultation se réduit bien souvent à un interrogatoire clinique alors qu’accompagné vous pouvez aller plus loin dans ce que vous pouvez faire à distance”.

Près de 20 ans de pratique

Le développement de la télémédecine date de 2004 et de la loi de financement de la Sécurité sociale qui autorise sa pratique. Problème, les actes autorisés ne sont pas clairement définis. Il faudra attendre un décret de 2010 définissant tous les actes pouvant être pratiqués à distance. C’est à partir de ce moment que la télémédecine commence à monter en puissance… très doucement dans les Ehpad. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, le Covid n’a pas forcément amplifié son développement. Le processus est plutôt lent et avait été enclenché avant la pandémie. “Nous avons développé depuis quelques mois dans le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine le dépistage ORL à distance, détaille Alain Seknazi. Nous souhaitons continuer ce déploiement et notamment pour nos résidents en Seine-Saint-Denis car ils sont la moitié à ne pas avoir de médecin traitant”.

Pour mettre en place des dispositifs de télémédecine, les établissements lancent des appels à projet. Ils peuvent ensuite bénéficier du financement de l’Agence régionale de santé. Les prestations proposées peuvent prendre différentes formes. Il peut s’agir de faire appel à des prestataires qui fournissent les chariots de télémédecine et qui proposent également l’accompagnement d’un infirmier. C’est le cas d’Arpavie qui a fait appel à la start-up spécialisée Toktokdoc pour mettre en place des téléconsultations.

Le projet peut aussi se faire en interne

Dans le groupe de maisons de retraite Korian, le principe choisi est d’ouvrir des créneaux de téléconsultation tous les jours, week-end et jours fériés inclus, sur des plages horaires de trois heures. Ces créneaux, proposés pour l’intégralité des résidents des structures Korian, sont gérés par les médecins du groupe. “La télémédecine apporte une solution alternative si le résident n’a pas de médecin traitant ou si celui-ci est indisponible, juge Julie Michelet. Elle apporte un confort évident au résident en évitant le passage aux urgences dans des situations gérables autrement”. Ce développement de la télémédecine en Ehpad peut se faire avec des structures avec lesquelles l’établissement entretient des liens. “Nous avons par exemple des zones où les Ehpad ont développé la téléconsultation de spécialités avec des centres hospitaliers. Chaque Ehpad peut travailler avec les acteurs locaux”, estime la directrice du pôle médical.

Les clés de la réussite

Pour que la mise en place de la télémédecine soit un succès, il est important de bien réfléchir en amont à ce dispositif. “Le projet doit être ajusté aux attentes de toutes les catégories d’utilisateurs potentiels, prévient le sociologue Alexandre Mathieu-Fritz. Tout le monde doit être d’accord à tous les niveaux, de la directrice de l’établissement à l’aide-soignante qui accompagne le patient, c’est-à-dire tous ceux qui sont censés utiliser le dispositif”. Il faut définir le type de besoin, à quel type de patient la télémédecine s’adresse, mais aussi comment ce dispositif va être géré au quotidien. “Il y a beaucoup de dispositifs qui ont été installés et qui n’ont pas donné lieu à des usages car les professionnels utilisateurs n’ont pas été suffisamment écoutés et l’organisation du dispositif n’a pas été assez discutée en amont”, regrette Alexandre Mathieu-Fritz.