Fraude fiscale : pourquoi la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité prend de l’ampleur

Fraude fiscale : pourquoi la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité prend de l’ampleur

Fraude fiscale : pourquoi la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité prend de l’ampleur

C’est une procédure qui monte en puissance. Désormais, les dossiers de fraude fiscale qui relèvent du tribunal correctionnel se règlent, assez fréquemment, via une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). En témoigne la synthèse de l’activité 2020 du parquet national financier (PNF). “Dix CRPC ont ainsi été conclues par le PNF (…) à l’issue de procédures pénales visant des faits de fraude fiscale et/ou de blanchiment de fraude fiscale”, précise la juridiction spécialisée dans le traitement des délits financiers complexes. En chiffres, les prévenus ont accepté, en moyenne, une peine de 15,6 mois d’emprisonnement avec sursis. Et le montant moyen des amendes prononcées s’est élevé à 397.160 euros*. Cette expansion de l’utilisation de la CRPC s’observe plus généralement sur l’ensemble du territoire.

Introduite par la loi Perben II du 9 mars 2004, la CRPC est codifiée aux articles 495-7 à 496-16 du Code de procédure pénale (CPP). Cet instrument juridique permet à une personne physique qui reconnaît sa culpabilité de négocier la peine (quantum d’emprisonnement, amende…) dans le bureau du procureur de la République. Mais il a fallu attendre l’adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude le 23 octobre 2018 pour que le plaider-coupable s’ouvre aux délits de fraude fiscale. Très répandue dans les pays anglo-saxons, cette pratique d’une justice négociée devrait progressivement entrer dans les mœurs hexagonales. “À présent, il y a une réelle volonté des parquets d’avoir recours à cette procédure, souligne Alice Rousseau, avocate spécialisée en droit pénal-fiscal au barreau de Paris. Toutefois, ce n’est pas automatique. La proposition de mise en place d’une CRPC ou, à l’inverse, la validation d’une demande émanant d’un contribuable restent à la discrétion des procureurs. Et il n’y a pas de critères objectifs.”

Gain de temps

En 2018, la loi fraude a fait sauter le verrou de Bercy. L’administration fiscale n’est plus seule maître à bord pour apprécier s’il y a lieu de lancer des poursuites pénales contre un contribuable. Désormais, tous les dossiers où le montant des droits fraudés dépasse le seuil de 100.000 euros et qui ont fait l’objet de pénalités pour manquement délibéré, manœuvres frauduleuses ou abus de droit sont transmis au parquet. Inévitablement, le nombre de dossiers reçus par les procureurs a fortement augmenté. Ce qui fait dire à Alexandre Maitrot de la Motte, professeur agrégé de droit public : “Pour comprendre la montée en puissance de la CRPC, la question du rapport au temps est extrêmement importante.”

Il faut dire que pour l’ensemble des parties, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité représente un vrai gain de temps. “On négocie d’abord la peine avec le procureur. Une fois l’accord conclu, la convention est homologuée par un juge en séance publique à laquelle il n’y a généralement pas de public hormis les avocats”, détaille Alice Rousseau. Pour le prévenu, elle lui évite de subir un procès pénal ; un long chemin à l’issue incertaine. Pour la justice, elle permet d’évacuer rapidement les plus petites affaires. Et de ne renvoyer devant le tribunal que les dossiers jugés “importants” par le parquet. À savoir, ceux où les montants en jeu peuvent être particulièrement élevés ou qui impliquent des personnalités de premier plan.

Rendement financier

“Pour l’Etat, l’enjeu prioritaire est désormais celui du rendement financier dans la lutte contre la fraude”, rappelle Alexandre Maitrot de la Motte. C’est pourquoi l’administration concentre ses efforts sur les contribuables dits “à risques” ou “à forts enjeux”. La CRPC permet d’obtenir une solution transactionnelle : c’est l’assurance d’un retour financier. Pour les personnes morales (sociétés), il existe un mécanisme semblable à celui de la CRPC, la Convention judiciaires d’intérêt public (CJIP) qui permet de mettre fin aux poursuites pénales moyennant le paiement d’une amende d’intérêt public. La différence entre la CRPC et la CJIP étant que la seconde n’emporte pas déclaration de culpabilité de la personne morale (il n’y a pas de condamnation pénale portée au casier judiciaire). Une procédure qu’a par exemple utilisée Google à l’automne 2019. Pour mettre fin aux poursuites pénales pour fraude fiscale et à son contentieux avec l’administration fiscale, la firme américaine a accepté de signer une CJIP et une transaction fiscale d’un montant total d’un milliard d’euros (environ 500 millions d’euros par procédure). Ainsi, l’État a pu empocher rapidement une très grosse somme, et les avocats de Google ont pu circonscrire le risque de payer une amende encore plus conséquente devant un tribunal.

Par ailleurs, en l’échange d’une solution négociée, le prévenu est assuré de l’extinction de l’action publique. “Pour un dirigeant d’entreprise notamment, l’intérêt à trouver une réponse transactionnelle est grand. Cela permet de négocier une dispense de l’inscription de la condamnation au casier judiciaire, une interdiction d’exercer son activité, voire d’aller en prison”, rappelle Alexandre Maitrot de la Motte.

A la condition que le juge homologateur valide la convention établie entre le prévenu et le parquet. “Il n’y a pas de recours possible contre un refus d’homologation, appuie Alice Rousseau. L’affaire est alors jugée en audience publique au tribunal correctionnel. » Ce qui interroge quant aux éléments livrés en amont au procureur… Mais l’article 495-14 du Code de procédure pénale précise que “(…) ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant (la, ndlr) juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure.” Même si on comprend aisément, qu’il sera compliqué de plaider non coupable devant un tribunal, après avoir subi le refus d’une homologation par un juge.

Mieux vaut parfois refuser

C’est pourquoi, le rôle de l’avocat est essentiel en matière de CRPC. “Il faut savoir qu’accepter une CRPC ne vous permet plus ensuite de soulever d’éventuels vices de procédure, appuie Alice Rousseau.” Il est donc parfois plus judicieux de refuser la proposition du procureur et d’aller s’expliquer devant le juge. D’autant plus qu’en dépit des principes d’indépendance des juridictions et d’autonomie des procédures, la CRPC peut avoir des conséquences sur le contentieux administratif, souvent ouvert en parallèle de la procédure pénale. “Si on dépose une requête devant le tribunal administratif pour contester un redressement fiscal, et qu’entre-temps on conclut une CRPC, il sera forcément difficile de poursuivre la contestation du redressement devant le juge de l’impôt”, conclut Alice Rousseau. Malgré tout, face aux risques pénaux grandissant, le montant des amendes encourues et la peur d’être éclaboussé par un scandale, un nombre croissant de prévenus devraient choisir – s’ils en ont l’opportunité – de conclure une CRPC (ou une CJIP) dans les années à venir.

*En 2020, le montant des amendes négociées en CRPC par le PNF s’est étalé entre 10.000 euros et 885.800 euros. Ce qui souligne l’hétérogénéité des dossiers traités par ce parquet.

Source Capital.fr

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