Pertes d'exploitation : les assureurs rechignent à indemniser les professionnels

Pertes d’exploitation : les assureurs rechignent à indemniser les professionnels

Pertes d'exploitation : les assureurs rechignent à indemniser les professionnels

C’est, chez les assureurs, le seul pan d’activité pour lequel les confinements successifs n’ont rien de la bonne affaire. A elles seules, les fermetures administratives prononcées durant le printemps auraient en effet provoqué 60 milliards d’euros de manque à gagner chez leurs clients hôteliers, restaurateurs, commerçants et autres artisans. Auxquels s’ajouteront de nouveaux milliards de pertes d’exploitation, liées au reconfinement de novembre. Face à ces sinistres que les contrats dédiés aux professionnels proposent de couvrir, la plupart des compagnies ont décidé de jouer la montre. «Axa n’a rien voulu entendre pendant des mois, il a donc fallu les traîner en justice, où une première manche a été remportée fin octobre», décrit Sibylle Diallo-Leblanc, spécialiste du droit des assurances au cabinet d’avocats Beaubourg, et chargée de la défense des frères Abou.

Ces propriétaires d’un centre de séminaires à Etiolles (Essonne) devront encore attendre six mois, et les conclusions de l’expert missionné, ainsi qu’un éventuel appel, pour espérer obtenir le 1,3 million d’euros auquel ils estiment avoir droit. Mais qu’Axa leur refuse, au motif que les 71 chambres de l’établissement, pourtant uniquement utilisées lors de colloques eux-mêmes interdits par le gouvernement, pouvaient être assimilées à un classique hôtel, activité non soumise à fermeture administrative.

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Au moins ces assurés ont-ils l’espoir de toucher quelque chose. Pour la moitié des entrepreneurs qui prévoient de souscrire une couverture pertes d’exploitation, l’issue est moins certaine. D’abord parce que la majorité de ces garanties ne couvrent pas, comme ils le croyaient parfois naïvement, le manque à gagner subi sans qu’un dommage soit en cause (incendie, dégât des eaux, etc.), et, plus rarement, excluent de façon explicite la pandémie, et/ou la fermeture administrative. Mais aussi parce que les assureurs profitent de leurs clauses opaques, comme le racontent nos trois témoins (lire ci-contre).

Selon une étude de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’organisme de régulation du secteur, 4% des contrats prêteraient ainsi à interprétation. Un doute qui, selon la loi, doit pourtant profiter aux clients… «Force est de reconnaître que les assureurs se sont montrés maladroits», constate Cyrille Chartier-Kastler, président du cabinet spécialisé Facts & Figures. Outre les arguties à n’en plus finir sur les clauses, ils ont aussi adopté un comportement des plus cavaliers, en oubliant parfois de répondre à des courriers pendant des mois, en proposant des rabais symboliques, ou en promettant un accord, avant de se rétracter. «J’ai passé deux heures avec mon conseil chez l’avocat de l’assureur. Je réclamais, conformément à mon contrat, pour 250.000 euros de pertes d’exploitation. Ils ont refusé d’aller au-delà de 160.000 euros, et nous voilà en justice», se lamente un commerçant bordelais. Et, quand arrangement il y a, c’est pour contourner les plaintes.

Ainsi, Axa a fini par transiger, en juin, avec le restaurateur parisien Stéphane Manigold, après un procès très médiatisé. La Maif, pour sa part, a distribué des chèques allant de 7.000 à 10.000 euros pour «aider» ses clients qui, en échange, s’engageaient à ne rien réclamer de plus. «Je ne croyais même pas avoir droit à quoi que ce soit, alors j’ai pris volontiers», se souvient, ravie, une esthéticienne de la capitale.

Autant dire que le reconfinement n’augure rien de bon pour ces professionnels, qui devront se préparer non seulement à de nouveaux procès, mais aussi à subir des conditions de couverture dégradées. «Il faut s’attendre à de très fortes hausses de tarifs sur les garanties pour fermeture administrative. Et certains assureurs refuseront tout simplement de s’engager sur ce type de clause», avertit François-Xavier Combe, fondateur d’Easyblue, un courtier en ligne.

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Autre stratégie, signalée par le courtier Gras Savoye : la hausse des franchises appliquées, devenues jusqu’à 10 fois plus élevées en matière de dommages, et 3 fois plus pour la perte d’exploitation. Et pas sûr que l’issue vienne de la nouvelle «garantie pandémie», voulue par Bercy: il se pourrait qu’elle prenne entre autres la forme d’un fonds de soutien, alimenté… par les clients eux-mêmes.

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«Tout aurait dû se régler rapidement, mais Axa préfère traîner…»

Xavier Denamur, restaurateur dans le quartier du Marais à Paris

«Miracle! Au premier confinement, je découvre que je suis bien couvert. Mes pertes d’exploitation doivent être indemnisées sans exclusion, sauf en cas de guerre», se souvient Xavier Denamur. Ce médiatique restaurateur de 57 ans a, en effet, souscrit de longue date un contrat très généreux auprès du courtier spécialisé Cueille et Bonnefoy, repris depuis par un autre courtier, Satec, dont Axa est actionnaire. Alors que son contrat lui promet, estime-t-il, une couverture sur dix-huit mois de 100% du manque à gagner, l’assureur lui offre de couvrir un quart du chiffre d’affaires perdu sur trois mois. «Je ne peux pas me contenter de ça. J’ai rouvert en perdant de l’argent, observe-t-il, très remonté. Tout aurait dû se régler rapidement, mais Axa préfère traîner.» Avec le reconfinement, Xavier Denamur, clairement inquiet pour l’avenir, fait aujourd’hui le pari d’un arrangement rapide avec Axa.

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«A défaut d’indemnité, Gan m’a juste proposé une remise de 300 euros sur ma police »

Emmanuelle Gratia, gérante du magasin de prêt-à-porter Gdustyl, dans l’Oise

Quand le premier confinement a été décrété au printemps dernier, Emmanuelle Gratia, gérante depuis douze ans d’une boutique de vêtements féminins à Crèvecoeur-le-Grand (Oise), se croyait protégée. De fait, son contrat d’assurance auprès de Gan mentionnait une couverture d’éventuelles pertes d’exploitation. Las, ni la pandémie ni la fermeture administrative ne figurent, dans une autre partie du document, parmi les conditions donnant droit à une indemnité couvrant une part des 120.000 euros de manque à gagner sur la période.

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Elle tente bien de faire une déclaration de sinistre, mais cela ne passe pas. «C’est très dur, mais le pire, c’est que l’agent ne prend même pas la peine de vous répondre, se souvient-elle. Et qu’à force d’insister, il vous accorde royalement une remise de 300 euros sur la police, tout de même facturée dans les 5.000 euros.» Pour faire face, la commerçante s’est décidée à souscrire un prêt garanti par l’Etat (PGE) de 158.000 euros, qui lui sert notamment à payer ses loyers et ses stocks. De nouveau confinée, elle espère seulement qu’elle obtiendra un délai d’un an supplémentaire pour le rembourser, au printemps 2022.

«Le Crédit mutuel refuse de m’indemniser, pour une raison incompréhensible»

Dominique Goncalves, gérant d’un centre d’aquabiking à Lyon

Ce petit patron de 53 ans n’en revient toujours pas. Dominique Goncalves est certain que son assurance, ACM (groupe Crédit mutuel), couvre les pertes d’exploitation de ses trois cabines d’aquabiking qu’il exploite depuis 2018 à Lyon, successivement dues au confinement du printemps puis, en septembre, à la fermeture administrative des salles de sport. «Une entreprise qui tourne gentiment, avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 5.000 euros par mois», dit-il. Son contrat précise, en effet, qu’il a droit à une compensation en cas de «mesure d’interdiction émanant des autorités administratives». «J’estime que ces deux interruptions d’activité me donnent droit à une indemnité de l’ordre de 16.000 euros. Ce qui me semble, somme toute, assez modeste», explique-t-il.

Comme souvent dans ces histoires, le diable est dans les (drôles de) détails. La clause en question ne jouerait pas sous prétexte que la fermeture serait liée à la présence d’un micro-organisme, comme l’est justement le Covid-19. «Personne n’a attrapé le virus chez moi, d’autant plus qu’on est seul en cabine, fait valoir, plutôt remonté, Dominique Goncalves. On refuse de m’indemniser pour une raison incompréhensible.»

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Source Capital.fr

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