Aide à domicile : le cri d’alarme des professionnels pour un vrai financement du secteur

Aide à domicile : le cri d’alarme des professionnels pour un vrai financement du secteur

Aide à domicile : le cri d’alarme des professionnels pour un vrai financement du secteur

“Réaliser un virage domiciliaire”. Cette expression revient souvent dans la bouche des membres de l’exécutif. Si un consensus semble se faire autour de la volonté de maintenir les personnes âgées le plus longtemps possible chez elles, encore faut-il y mettre les moyens. C’est l’appel que lancent Amir Reza-Tofighi et Julien Jourdan, respectivement président et directeur général de la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap).

Capital : Que faut-il faire pour réussir ce virage domiciliaire tant annoncé?

Amir Reza-Tofighi : Le vrai sujet, mais les politiques l’évitent, c’est le financement. Tant que l’on ne revient pas sur les fondamentaux, nous allons perdre du temps. Le secteur du domicile a besoin de moyens. Tous les acteurs du secteur saturent et sont inquiets car par rapport au projet de loi (générations solidaires, ndlr), les premières choses que nous avons vues c’est qu’aucun moyen nouveau ne sera mis. Il est évoqué d’augmenter les taux horaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la Prestation de compensation du handicap (PCH) en 2023 alors que l’urgence est maintenant.

Julien Jourdan : On nous avait promis un projet de loi négocié, partagé, réfléchi sur le fameux virage domiciliaire. Mais on voit déjà que dans l’intitulé on passe d’autonomie et grand âge à générations solidaires ce qui n ‘est plus pareil. La méthode n’est pas au rendez-vous et ce qui nous est présenté ne nous convient qu’à moitié. Pour nous le fameux virage domiciliaire c’est deux choses : un tarif national socle APA et PCH pour gommer les inégalités territoriales et maîtriser les restes à charge qui doivent être assez homogènes d’un territoire à un autre, et la possibilité d’augmenter les plans d’aide.

Pour le moment, l’avant projet de loi propose une APA à 22 euros de l’heure. Mais avec 22 euros, qu’est ce que vous voulez qu’on fasse ! Faute d’argent les structures tricotent avec des salaires et des plans d’aide relativement bas. La ministre de l’Autonomie Brigitte Bourguignon l’a dit elle-même, le coup de revient d’une heure d’aide à domicile est de 25 euros.

Capital : Pourtant des moyens ont été donnés récemment avec la signature de l’avenant 43 qui permet de revaloriser le salaire des aides à domicile de plus de 10%….

Amir Reza-Tofighi : Pour l’avenant 43 de la convention collective associative, des moyens ont été mis, je ne peux pas enlever cela au gouvernement. Mais la vision est très dogmatique car cette hausse de salaire concerne uniquement les salariés des associations, oubliant complètement tous les salariés du privé. Vous me direz : pourquoi l’Etat devrait payer pour des salariés du secteur privé ? Dans beaucoup de secteurs cette question pourrait s’entendre, sauf que dans l’aide à domicile, associatif ou privé, on travaille avec l’APA et la PCH, c’est donc un secteur subventionné par l’Etat avec des tarifs très bas qui n’ont pas été revalorisés depuis des années. Au lieu d’augmenter les taux pour que tout le monde puisse en bénéficier, le gouvernement a choisi de flécher une enveloppe supplémentaire uniquement au secteur associatif. Nos salariés ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas mieux payés alors qu’ils font le même travail.

Julien Jourdan : Ce sont seulement 60% des professionnels du secteur qui sont concernés par cette augmentation et encore on ne sait pas comment cet avenant va être financé. Les départements n’ont pas encore pris d’engagements car la mesure a été actée juste une semaine après les élections départementales. C’est une vraie fausse bonne nouvelle pour le secteur globalement. Dans l’avant projet de loi qui a été présenté ne figure aucune revalorisation de salaires pour tous les auxiliaires de vie. Donc des écarts vont se créer. Si on voulait faire une action incohérente en matière de revalorisation, on ne s’y prendrait pas beaucoup mieux !

Capital : Vous plaidez pour un socle national de l’APA. Quel doit être son niveau ?

Amir Reza-Tofighi : Le taux horaire de l’APA et de la PCH doit être dès 2022 à 26,50 euros et tendre vers 30 euros dans 3 à 4 ans. Ce niveau permettrait d’avoir de vrais moyens pour le secteur. Aujourd’hui nous fonctionnons avec le système D, nous avons du mal à payer les temps d’astreinte, les déplacements, le temps de réunion. C’est avec ces tarifs que l’on pourra vraiment réussir le virage domiciliaire. Et pour cela, il n’y a pas besoin de loi. Les moyens pour le domicile peuvent être mis dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 discuté par les parlementaires à l’automne.

Capital : Ce relèvement doit s’accompagner d’une hausse du plafond des heures d’accompagnement ?

Amir Reza-Tofighi : C’est mécanique. Si le taux horaire augmente mais pas le plafond des heures, le nombre d’heures d’accompagnement va baisser. Prenons l’exemple du plafond pour le GIR 1 (personnes les plus dépendantes, ndlr) qui est fixé à 1.747,58 euros par mois. Si le département fait une APA à 20 euros cela veut dire qu’il va donner 87 heures à 20 euros. Si le taux passe à 22 euros alors ce ne sera plus 87 heures mais 79 heures. Cela ne coûte rien de plus à l’Etat, c’est un artifice pour faire croire qu’il y a plus de moyens.

Julien Jourdan : Il faut permettre aux bénéficiaires de vieillir chez eux et finir par fondre l’APA et la PCH en une prestation autonomie qui permettrait d’augmenter, voire de déplafonner les plans d’aide. En fonction des situations d’autonomie, s’il y a des aidants ou non, il faut redéfinir le volume horaire qui est associé et le reste à charge. Sinon ce sera un demi virage domiciliaire.

Capital : Les départements qui versent l’APA n’ont pas les mêmes moyens. Pourront-ils tous augmenter le tarif socle ?

Amir Reza-Tofighi : Je ne veux pas accabler les départements car ils ont chacun une réalité financière différente. Mais ce qui n’est pas admissible c’est lorsque certains départements décident de favoriser certaines structures en leur accordant des taux d’APA plus élevés, c’est du favoritisme et on se bat contre ça, car ce sont des politiques qui vont contre l’intérêt des personnes en perte d’autonomie. Il y a aussi des départements qui choisissent volontairement de ne pas investir dans le domicile car ils considèrent que ce n’est pas une priorité et je trouve ça préjudiciable pour nos aînés. Enfin, il y a ceux qui n’ont pas les moyens et c’est pourquoi je pense que le financement de l’APA et de la PCH devrait être à la charge de l’Etat. C’est une dépense qui revient aux départements alors qu’ils n’ont pas la main pour la maîtriser.

Julien Jourdan : Si l’on conserve le système de gouvernance actuel, il faut de la solidarité entre les départements pour que l’APA et la PCH soient accessibles aux mêmes niveaux sur tous les territoires. C’est primordial.

Capital : Ce ne sera pas le rôle de la 5e branche de la Sécurité sociale créée il y a un an ?

Amir Reza-Tofighi : Pour l’instant la cinquième branche c’est un peu une coquille vide. Aujourd’hui beaucoup d’argent est mis dans les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. L’intérêt d’avoir cette caisse c’est que l’on répartisse mieux entre le domicile et les Ehpad. Car aujourd’hui, on est vraiment le parent pauvre de l’histoire.

Julien Jourdan : On continue à financer le passé alors qu’il faut être dans le futur qui est le domicile. Dans l’avant-projet de loi, il y a eu zéro arbitrage sur l’argent qui va devoir être nécessairement investi dans la 5e branche qui est déjà en déficit. On va simplement balancer la patate chaude à celui qui viendra après la prochaine présidentielle.