Retraite : ces régimes spéciaux qui nous coûtent toujours 20 milliards par an

Retraite : ces régimes spéciaux qui nous coûtent toujours 20 milliards par an

Pour nous mettre en joie dès le matin, voici une petite question dont la réponse vous fera certainement chaud au cœur. Sur toutes les factures EDF, juste au-dessous du total des consommations, se glisse une petite ligne baptisée «Contribution tarifaire d’acheminement électricité (CTA)». A votre avis, s’agit-il: 1/ d’une taxe sur les pylônes? 2/ d’une recette affectée à l’enfouissement des lignes haute tension dans les campagnes? 3/ d’une ponction pour l’entretien du réseau? Réfléchissez bien… Alors? Alors la réponse est… aucune des trois.

Comme son nom ne l’indique pas, la contribution tarifaire d’acheminement est une taxe prélevée sur l’ensemble des usagers pour… financer les retraites dorées des salariés du secteur électrique et gazier (ils partent en moyenne 5,3 ans avant les autres et touchent des pensions de 20% supérieures, il faut bien que quelqu’un paie). C’est un peu bizarre, on vous l’accorde, mais finalement assez compréhensible: si l’on avait appelé ce prélèvement par son nom, des milliers d’abonnés EDF se seraient sans doute révoltés et ils auraient encore fichu le bazar. Cela vaut bien une petite entorse sémantique…

Rassurons tout de suite leurs heureux bénéficiaires, la CTA et les privilèges éhontés qu’elle charrie ne sont nullement menacés. Dans notre pays farci d’avantages acquis, supprimer les régimes spéciaux de retraite (électriciens et gaziers, donc, mais aussi fonction publique, SNCF, RATP, Banque de France, assemblées parlementaires et quelques autres, de moindre importance), c’est un peu comme ranger le garage ou trier ses vieux e-mails: on n’arrête pas de répéter qu’on va s’y mettre et on ne le fait jamais.

Terrassé par une interminable grève des trains et des métros, Alain Juppé a dû piteusement rengainer sa machette en décembre 1995. Nicolas Sarkozy, qui avait promis à ses électeurs une action hardie, a lui aussi voulu faire rendre gorge à ces dispositifs ruineux. Mais il a accordé tellement de contreparties aux syndicats que, de l’avis même de la Cour des comptes, sa microréforme de 2010 a coûté plus cher aux contribuables qu’elle ne leur a rapporté (4,7 milliards contre 4,3). Elle a même contribué à accroître les avantages dont bénéficient les conducteurs de métro et les chauffeurs de bus parisiens!

Emmanuel Macron ne s’est pas mieux sorti de ce dossier impossible. Certes, la mise au pas de ces retraites hors du commun était au programme de sa grande réforme visant à créer un système universel. Mais comme tout l’édifice s’est effondré en mars 2020 lorsque la crise sanitaire s’est abattue sur la planète, nos chers régimes ont encore échappé à la purge.

Partie remise? Ce revers est en tout cas resté en travers de la gorge du chef de l’Etat. Début septembre, ses conseillers se sont répandus dans la presse pour assurer qu’il allait remettre le couvert et que l’estocade serait portée «avant la fin de son quinquennat». A quelques mois du scrutin, cela serait très courageux. Le Premier ministre s’est cependant empressé d’affirmer qu’on avait mal compris: à son sens, l’ablation de ces cancers budgétaires ne pourra être menée qu’une fois le virus du Covid vaincu, autrement dit pas avant la prochaine présidentielle.

Qui croire? «Jean Castex, sans aucune hésitation, tranche Pierre-Edouard du Cray de l’association Sauvegarde Retraites, l’un des plus fins connaisseurs de ce dossier brûlant. Emmanuel Macron n’a jamais eu l’intention d’agir avant l’élection. Il cherche juste à occuper le terrain médiatique pour empêcher ses adversaires de lui reprocher de n’avoir rien fait.»

Retraite : ces régimes spéciaux qui nous coûtent toujours 20 milliards par an
DR

Autant dire que ces régimes exorbitants du droit commun vont sans doute encore une fois sauver leur peau, et c’est une très mauvaise nouvelle pour notre pays. D’abord, parce qu’avec leurs règles héritées d’un autre âge, ils sont une véritable insulte à l’équité. Alors que le commun des travailleurs doit attendre 62 ans pour raccrocher – et bientôt sans doute 63 ou 64 –, leurs 1,2 million de bénéficiaires peuvent cesser leur activité beaucoup plus tôt: à 57 ans pour les policiers municipaux, les pompiers, les salariés «actifs» d’EDF et d’Enedis, les aides-soignants exerçant à l’hôpital public ou les ouvriers d’Etat; à 52 ans pour les policiers nationaux, les roulants de la SNCF et de la RATP, les contrôleurs aériens, les surveillants de prison, les égoutiers ou les gardiens de prison; et même à 40 ans pour les danseuses de l’Opéra de Paris.

Pour certaines catégories, comme les égoutiers ou les militaires au front, cet avantage n’a rien de scandaleux au regard de la dureté ou du danger de la tâche accomplie. Mais la plupart du temps, la supposée pénibilité exceptionnelle des fonctions concernées, brandie en étendard par les syndicats pour justifier leur privilège, relève de l’imaginaire. Un ouvrier qui travaille dans un atelier d’Etat est-il soumis à des cadences plus infernales qu’un ouvrier normal? Un aiguilleur du ciel rivé à son écran en moyenne vingt-quatre heures par semaine ou un policier bureaucrate enfermé dans son bureau du matin au soir subissent-ils plus de stress qu’un journaliste qui bataille tous les jours avec sa page blanche (à notre avis, ce n’est pas sûr)? Et les conducteurs de bus parisiens? Affrontent-ils plus de nuisances à leur volant que leurs collègues de Marseille, Lyon, Bordeaux ou Toulouse, pour qu’on leur permette de partir à la retraite dix ans plus tôt? Dix ans!

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Ces traitements de faveur sont d’autant plus choquants qu’ils sont financés par ceux qui n’en bénéficient pas. Et leur facture est loin d’être symbolique. Selon la Cour des comptes, ils coûtent un peu plus de 1 milliard d’euros par an à la SNCF, 1,8 milliard chez les électriciens gaziers d’EDF, Enedis ou Engie et 260 millions pour les seuls départs anticipés à la RATP. La comptabilité de la caisse de retraite de la régie des transports parisiens est en effet tellement opaque que les magistrats n’ont pas pu établir le coût des surcroîts de pension versés à nos conducteurs de métro. D’après nos estimations, cette partie de la note dépasse les 300 millions d’euros par an.

Les régimes très généreux de la Banque de France et des assemblées parlementaires engloutissent respectivement de leur côté 180 et 90 millions d’euros. Reste le plus considérable: la fonction publique. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) évalue à 8 milliards d’euros par an la note des seuls départs anticipés. Si l’on y ajoute le coût des bonifications d’annuité, du calcul plus favorable des pensions et des avantages divers dont les fonctionnaires sont abreuvés, «la facture totale oscille sans doute entre 12 et 16 milliards d’euros par an», estime Pierre-Edouard du Cray. Une folie.

La mauvaise nouvelle, c’est que, si elle intervient un jour, la remise à plat de tous ces régimes ne nous permettra pas d’économiser rapidement de telles sommes. Pour ce faire, il faudrait en effet que les centaines de milliers de salariés concernés soient précipités du jour au lendemain dans le système de retraite du privé, une perspective socialement et politiquement difficile à envisager. Bien que toutes les solutions intermédiaires soient concevables, Emmanuel Macron a d’ores et déjà laissé entendre que, s’il se décide à agir (avant ou après sa réélection potentielle), il choisira la plus douce: seuls les nouveaux embauchés seront concernés par sa réforme, les travailleurs en poste conservant intacts les avantages de leur régime spécial. Cette «clause du grand-père», qui s’applique déjà à la SNCF depuis son changement de statut en 2020, permettra d’éviter bien des tracas. Son seul défaut, c’est qu’il faudra attendre 60 ans pour qu’elle donne son plein effet budgétaire.

Cela laissera largement le temps à notre pays de faire faillite.

Source Capital.fr

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